Accueil Culture La collectivité italienne et la naissance des premiers mouvements syndicaux en Tunisie (1911-1925)

La collectivité italienne et la naissance des premiers mouvements syndicaux en Tunisie (1911-1925)

L’histoire du mouvement ouvrier en Tunisie est un sujet assez intéressant, mais difficile parfois à comprendre, vu sa complexité, liée entre autres aux lois du protectorat français et au nombre important de travailleurs italiens présents dans la Régence de Tunis. Il a été nécessaire donc d’un effort de ma part pour mieux comprendre et relire les temps forts du mouvement syndical. La première C.G.T.T. ( Confédération générale des travailleurs tunisiens) fondée le 3 décembre 1924 par Mohamed Ali El Hammi, Haddad et le communiste Mokhtar Ayari, soutenue par la Fédération communiste de Tunisie, dirigée à l’époque par Jean-Paul Finidori, (voir photo du tout récent ouvrage « Écrits et Combats », Habib Romdhane/Habib Kazdaghli)  en se détachant de la section tunisienne de la C.G.T., alors considérée comme insuffisamment sensible aux aspirations des travailleurs tunisiens et ensuite la naissance de l’U.G.T.T. (Union générale tunisienne du travail) fondée le 20 janvier 1946 par Farhat Hached.

La décennie qui sépare les poussées de 1925 et de 1936 ne manque pourtant pas d’intérêt. C’est le décret beylical du 16 novembre 1932 qui applique la loi française de 1884. C’est, en effet, un demi-siècle après la France que la loi 1884 est étendue, non sans restriction, à la Tunisie par le décret de 1932.

Les vrais premiers problèmes sociaux se posent dans le Protectorat à partir de 1904, quand les premières grèves importantes éclatent. C’est aussi à partir de cette date que la gauche tunisienne ne cesse d’argumenter et d’agir pour obtenir la liberté syndicale et cette lutte permettra l’existence des organisations syndicales libres.

L’union départementale de la C.G.T. fut créée en 1911 et reconstituée en 1919. Les associations confédérées furent autorisées à publier des journaux, tenir des congrès et même discuter avec le patronat et les pouvoirs publics. Le tribunal de Sousse, par exemple, avait blanchi de toutes poursuites le secrétaire du syndicat des cheminots de Sfax-Gafsa, accusé d’avoir donné un ordre de grève.    

M. Lucien Saint, Résident général de France en Tunisie, entre 1921 et 1929, fut sollicité par la Régence, de constituer en Tunisie un syndicalisme régulier. Il admettait l’utilité des organisations syndicales pour diverses raisons : applications des lois ouvrières, solutions plus rapides des conflits liés au travail, ouverture des bureaux avec lesquels le gouvernement peut traiter en cas de grève, représentation plus qualifiée pour discuter des revendications des travailleurs. Mais deux objections étaient faites à la mise en vigueur de la législation française. La première était la prédominance du prolétariat italien, assez nombreux dans la Tunisie coloniale. Une masse de travailleurs qui occupait souvent, mais pas toujours, des postes assez modestes et qui représentait un contingent et une force très importante aux yeux des patrons français. Le risque était donc que ces syndicats risquaient d’échapper au contrôle des Français qui, tenez-vous bien, ne formaient que le dixième de la main-d’œuvre en 1905 et de devenir «une masse de manœuvre entre les mains du Consul général».

Les droits spéciaux des ressortissants de Rome et l’égalité avec les Français, prévus dans les Conventions de 1896, interdisaient également d’accorder le bénéfice de la loi de 1884 aux seuls citoyens, de limiter la proportion des étrangers, et notamment des Italiens dans les organisations et d’exiger des bureaux entièrement nationaux.

Ces arguments, avancés en 1905 et 1919 surtout, ont perdu de leur force par la suite. A partir de Lucien Saint, les autorités françaises estiment que l’égalité stipulée dans les accords entre Paris et Rome – qui sont interprétés de plus en plus strictement et remis en question depuis 1920 – ne s’étend pas aux droits politiques et ne concerne que les droits civiques. Le syndicat peut donc devenir un instrument de prépondérance, d’autant plus que le nombre des salariés français tend à augmenter par l’immigration et la naturalisation. En effet, beaucoup sont les Italiens qui décident par obligation (voir les décrets sur la naturalisation) ou par choix de devenir français, d’autres par contre, refuseront de se naturaliser. Il faut dire aussi que selon les accords de l’époque, le fait de se naturaliser français ne permettait pas de garder la nationalité italienne. Les Italiens se retrouvaient face à un terrible choix. L’antifascisme de la C.G.T. fait donc un contrepoids à la propagande irrédentiste. A partir, par contre, de 1924, c’est le problème autochtone qui passe au premier plan. Les ouvriers tunisiens sont la majorité. Sans formation politique et syndicale, ils resteront toujours sensibles aux séductions nationalistes et aux sollicitations de la C.G.T.T.

Plusieurs événements se succéderont.

La répression contre le nationalisme, le Parti communiste et la première C.G.T.T. ainsi que la relative prospérité économique concourent à faire de la Tunisie un pays calme, et ce, jusqu’ à 1930 où le marché du travail sera favorable aux revendications salariales.

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